Seine-Saint-Denis : un projet de coopérative de chauffeurs VTC contre l’ubérisation

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Écrit par Pierre De Baudouin

500 chauffeurs sont en train de former « une société qui leur appartient », pour s’affranchir des grandes plateformes numériques comme Uber. Le Département de la Seine-Saint-Denis apporte son soutien au projet.

Il était présent ce mercredi matin avec quelques dizaines de VTC (Voitures de transport avec chauffeur) près de Rungis (Val-de-Marne), pour bloquer la porte de Thiais et dénoncer la flambée du prix des carburants. Brahim Ben Ali, secrétaire général du syndicat INV, est à l’initiative d’un projet de coopérative de chauffeurs privés. Une première dans le secteur.

« Pour les chauffeurs, l’idée est de créer une société qui leur appartient, avec une vraie indépendance et une maîtrise de la tarification, raconte-t-il. Aujourd’hui, l’indépendance des VTC est fictive : les chauffeurs sont constamment subordonnés aux plateformes numériques. Et ils travaillent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Ils peuvent se faire déconnecter à tout moment, sans justification. » Pour rappel, en mars 2020, la Cour de cassation a reconnu pour la première fois en France l’existence d’un lien de subordination entre Uber et l’un de ses anciens chauffeurs.

On a besoin d’une cohabitation saine avec les taxis

Brahim Ben Ali, secrétaire général du syndicat INV

« L’idée est aussi de redorer le blason de notre profession en respectant la réglementation, et de promouvoir le made in France en mettant en avant notre savoir-faire pour séduire les clients« , poursuit Brahim Ben Ali. Même avec une tarification plus élevée, le représentant du syndicat INV dit ne pas avoir peur d’échouer face aux géants du secteur comme Uber : « On ne va pas faire de l’évasion fiscale. On va payer nos impôts et redistribuer de la richesse en France. »

Avec un modèle alternatif conçu contre l’ubérisation, le projet repose sur la création d’ »une plateforme numérique de mise en relation sur réservation, en amenant des services supplémentaires« . Les réservations de courses seront accessibles aux particuliers mais aussi aux entreprises et aux collectivités. La plateforme mise sur un public « qui comprend qu’il faut protéger le droit du travail« , indique Brahim Ben Ali. « On veut mettre fin à la distorsion concurrentielle créée entre les taxis et les VTC, ajoute-t-il. On ne veut pas marauder. On a besoin d’une cohabitation saine avec les taxis. »

L’idée est aussi de rassurer les clients. « Les chauffeurs devront obtenir une certification Afnor (un organisme qui édite les normes en France, NDLR). On veut avoir la garantie d’avoir de vrais chauffeurs, formés au sein de la coopérative. On veut également protéger les données personnelles, côté clients et côté chauffeurs« , détaille Brahim Ben Ali.

« On aimerait bien lancer la plateforme à l’automne 2022 »

A ce stade, 500 chauffeurs ont rejoint le projet et versé un acompte afin de devenir actionnaires. Plus de 2000 autres sont sur liste d’attente. Si la société coopérative d’intérêts collectifs (SCIC) n’a pas encore de nom commercial, le statut de l’entreprise a été déposé. « On aimerait bien lancer la plateforme à l’automne 2022. On est à 80% du projet, on continue de lever des fonds« , raconte Brahim Ben Ali.

Le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, présidé par Stéphane Troussel (PS), apporte son soutien. La collectivité a en effet décidé d’entrer au capital de l’entreprise, avec une aide de 25 000 euros pour sa création. « C’est le montant maximum que la réglementation autorise. C’est l’aboutissement d’un beau projet, qui a beaucoup de sens et qui fait face à l’ubérisation de l’économie, et la précarisation qui va de pair. On en voit les dégâts tous les jours, en particulier sur notre territoire« , explique Stéphane Troussel.

Et d’ajouter : « Pour les chauffeurs, c’est un moyen de travailler en ayant des droits, une vie de famille et un salaire décent. Ça crée de l’emploi de qualité, et ça montre qu’on peut changer les choses face à l’ubérisation. C’est un projet alternatif, qui se situe entre le secteur public et l’économie marchande classique. Il y a un enjeu d’avenir pour les habitants : on va être une terre d’événementiel ces prochaines années, avec par exemple la coupe du monde de rugby et les JO. Le métier de chauffeur, dès lors qu’il est régulé, représente aussi des possibilités d’insertion. »

De son côté, Mathieu Hanotin, le maire PS de Saint-Denis, a promis d’accueillir la coopérative dans un local, indique Brahim Ben Ali. Ce dernier précise que la plateforme devrait être disponible dans toutes les grandes villes françaises. Des partenaires européens, « en Belgique, aux Pays-Bas ou en Espagne par exemple« , pourraient rejoindre le projet à l’avenir.